L’illusion, c’est la vie ou la mort ?

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Le 5 juin 2018, elle s’est donné la mort.

Anthony Bourdain est l’une des vedettes de la télévision les plus aimées de la planète. Chef cuisinier de formation, son émission Parts Unknown, sur les ondes de CNN, est un régal. Quand on la regarde, impossible de ne pas envier l’animateur. Il est charmant, raffiné, drôle, cultivé. Il parcourt le monde, mange divinement bien, reçoit les invités les plus prestigieux et rigole avec eux. La belle vie. Anthony Bourdain s’est suicidé 3 jours après.

Deux symboles de succès, deux icônes de l’American Dream décident d’en finir à quelques jours d’intervalle. Ça ébranle. De Marilyn à Anthony, en passant par Robin Williams, les gens qui nous font rêver vivent souvent un cauchemar.

Les émissions de Bourdain étaient remplies de joie. Comment un être qui transmet le goût de vivre peut-il le perdre ? Sans qu’on s’en aperçoive. Sans qu’on puisse rien faire. Sans que personne n’arrête la spirale.

Récemment, des gens de bonne volonté ont fait avancer le dossier de l’aide médicale à mourir. C’est grand. C’est important. Il en va de la dignité et de la liberté de l’être humain. Mais il y a un autre dossier qu’il faut faire avancer. Un dossier prioritaire : laide médicale à vivre. En réalité, c’est l’essence même de la médecine. Tous les efforts sont dirigés en ce sens. Aider à vivre malgré son cancer, son insuffisance cardiaque, son diabète, sa pneumonie… On s’y attaque, sans relâche. Mais aider à vivre malgré soi-même, le faisons-nous assez ? Faut-il que notre monde soit un tel enfer pour que l’on choisisse de le quitter.

Se tuer, c’est l’extrême des extrêmes. Alors que tous nos réflexes sont guidés par l’instinct de survie, aller à contre-courant, avoir l’instinct du tueur, de son propre tueur, est la révélation, trop tardive, d’une violente souffrance emmagasinée. Devenir son pire ennemi. Combien faut-il d’angoisse, d’anxiété, de peur et de désespoir pour en arriver là ?  Faut-il que le monde soit si fermé pour que l’on ne puisse exprimer sa détresse et choisir une porte de sortie si radicale ?

Et la question qui ronge tous ceux qui restent : que pouvons-nous faire pour que quelqu’un ne parte pas ? Comme ça. De lui-même. Et pour toujours. Il y a plein de volontaires qui s’y consacrent. Des services d’aide, des services d’écoute, des ressources qu’il faut soutenir. Avec plus de moyens. Dans lesquelles il faut investir. Si on veut gagner la guerre au mal de vivre.

C’est un combat qui nous concerne tous. Il faut apprendre à aimer la vie. La vraie vie. Pas la fausse. Pas celle de la beauté superficielle, du gros cash et de la gloire illusoire. Pas celle des sphères moralisantes de « bonne » conduite… Non, la vraie. Celle des rencontres et des moments de solitude. Celle des grands jours et de tous les jours. Celle des succès et des échecs. Celle des bonheurs et des peines.

C’est bien beau de passer des heures et des heures à faire de la gym pour muscler son corps, mais que fait-on pour muscler son âme ? On croit que d’obtenir l’apparence idéale va régler tous nos maux. Alors qu’il n’en est rien. Le plus grand voyage que l’on peut faire, c’est un voyage en soi. Ce n’est pas toujours aussi enivrant que ceux que proposait Bourdain à la télé, mais se connaître est le plus important. Connaître chaque partie de soi. Y ajouter de la lumière. Ne rien laisser dans le noir.

Ça prend autant de cours de philo que de cours de gymnastique. Il faut apprendre à se retrouver seul avec soi-même, sans tous les artifices qui nous distraient, qui nous gèlent, qui nous donnent l’illusion d’être bien quand on ne l’est pas. Il faut apprendre à faire face aux moments déprimants. Il faut accepter que la vie, ça ne va pas toujours bien, mais ça vaut la peine. Toujours la peine.

On a tout fondé sur le bonheur, alors quand il nous échappe, on perd le nord. On perd la tête. La vie, c’est cool aussi quand ça va mal. Quand tout n’est pas parfait. Quand on a des chagrins. Ces moments-là, ça nourrit aussi.

Aimer la vie, c’est aimer tout ce qu’elle est. Tout ce qu’elle a.

Les suicides de personnalités provoquent des ondes de choc dans notre quotidien. On les reçoit comme une bombe, comme une désillusion. Comment se fait-il que des sources d’inspiration de millions de gens n’arrivent pas à s’inspirer elles-mêmes ? On voudrait être eux et soudainement on constate qu’eux ne veulent plus l’être.

Je n’en démords pas. Il faut plus mettre en valeur l’amour de la vie. L’amour de la nature, c’est important. L’amour de l’environnement, aussi. L’amour du travail. L’amour de notre singularité, même si elle nous rend non conforme au regard des Autres…

Je n’en démords pas, se connaître reste le moyen le plus puissant pour s’assumer, positiver et s’inscrire dans le vivant.