L’écologie doit elle passer de la réalité au rêve ?

Puisque la rationalité du discours écologique ne parvient pas à faire taire les sirènes de la société de consommation, c’est donc dans le domaine du rêve qu’il faut maintenant livrer bataille.

Acheter des produits locaux et de saison, trier ses déchets, économiser l’eau et l’énergie, adopter une conduite économe, isoler sa maison, prendre les transports en commun, faire du vélo…Ouf ! Voilà sans doute ce qu’une majorité de gens retiennent du discours écologique : une injonction à changer nos comportements, à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective. Un discours qui s’adresse d’abord à notre raison : puisque les ressources de la planète s’épuisent, que les pollutions s’accumulent et que le changement climatique menace, il est nécessaire et logique de modifier nos comportements pour réduire notre empreinte écologique. Il s’adresse aussi à notre coeur ou, du moins, à un certain sens de la justice en nous rappelant que 80% de l’humanité n’a pas accès aux ressources planétaires dont nous nous gavons quotidiennement.

A force de les rabâcher depuis plus de 20 ans, certains messages commencent à être entendus. Les comportements changent, lentement. Mais tellement lentement. Alors que pendant le même temps, la société de consommation s’est développée de façon exponentielle et globale, multipliant les produits, les emballages plastiques, les tonnages transportés et les kilomètres parcourus, les pollutions et les gaspillages. L’injonction à consommer serait donc plus forte, plus efficace que les appels à la modération et au discernement. Pourquoi ?

Mirage consumériste contre réalité écologique

Ne serait-ce pas parce que cette société de consommation nous propose avant tout du rêve ? Rêve de confort, d’abondance, de luxe, de beauté, de jeunesse, de séduction, de dépaysement, de voyage, d’expérience, de divertissement, de rires, de joie de vivre…en un mot, un rêve de « bonheur ». Un rêve martelé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 par les publicités et les séries télévisées. Jusqu’à l’absurde : une publicité récente ne propose-t-elle pas de rêver de voyage en lavant son linge avec des lessives aux parfums exotiques ? « Jamais votre linge n’est allé si loin » ose-t-elle conclure !

Bien sûr, nous sommes maintenant nombreux à déconstruire ces messages et à comprendre que d’une part nous ne serons jamais plus heureux en possédant plus de « trucs », et que d’autre part la société de consommation, construite sur une énergie abondante et bon marché, est condamnée. Mais il faut bien reconnaître que pour une large majorité, le chant des sirènes consuméristes couvrent encore le murmure d’une conscience écologique naissante…et vous me pardonnerez la métaphore un peu laborieuse.

« I have a dream » : de la réalité au rêve

Pour changer ce rapport de force, ce n’est donc plus seulement de la réalité d’aujourd’hui dont il faut parler, mais aussi du rêve de demain. En quelque sorte, inventer le « I have a dream » de l’écologie, qui serait capable d’entraîner les foules vers la promesse d’un monde meilleur. Un monde dans lequel la coopération et la solidarité primeraient sur la compétition et l’individualisme. Une société qui mesurerait sa richesse au regard du bien-être de sa population et de ses ressources naturelles, plutôt qu’au volume de ses échanges marchands ou financiers. Où le temps passé à s’occuper des autres, à s’instruire, à se cultiver, aurait au moins autant de valeur que celui passé à produire ou vendre des biens matériels.

L’idée en soi n’est pas nouvelle. Les spécialistes répètent à l’envi que le développement durable doit devenir désirable. Les partis et les associations écologistes, ainsi que les mouvements de transition tentent de mobiliser les citoyens autour de nouveaux projets de société. Et s’ils sont de plus en plus nombreux, ceux et celles qui tendent l’oreille à Pierre Rabhi, Patrick Viveret ou Stéphane Hessel restent encore très minoritaires, et souvent convaincus d’avance. Et les autres ? Il semble que même le très médiatique Nicolas Hulot ait du mal à se faire entendre.

Déconstruction / reconstruction

Il faut dire que la tâche est immense. Il y a tant à déconstruire, et tant à reconstruire. A déconstruire : le rêve de la maison individuelle et son bout de jardin avec piscine, les deux voitures (dont un 4×4 indispensable, on croise tellement de buffles de nos jours), les vacances à l’autre bout de la planète et…les fraises en hiver, entre autres. A reconstruire: des économies locales, un meilleur partage des temps et des espaces de travail, de loisir, de famille et de citoyenneté, un habitat groupé, des villes plus humaines et plus vertes, des sols fertiles, des modes de transport doux et partagés, des relations plus humaines et j’en passe.

Et ce n’est pas tout. Alors que « l’utopie consumériste » fut pensée par quelques-uns pour s’imposer à tous, un futur véritablement écologique et humaniste ne saurait se construire autrement que de manière démocratique et participative, pour ne surtout pas devenir une énième utopie totalitaire digne du XXe siècle. Cette déconstruction / reconstruction passe donc nécessairement par un éveil (un réveil ?) des consciences, des valeurs et des possibles, à des échelles individuelles et collectives. Un processus nécessairement long et lent, alors que les urgences écologiques, énergétiques et climatiques se dressent devant nous. Y parviendrons nous à tempsn? On peut en douter, mais comment, si on n’est pas totalement stupide ou cynique, ne pas l’espérer et ne pas vouloir être acteur de cette transformation?

 

Par Pierre Japhet – L’Express – publié le